Prisons surpeuplées et délabrées, manquements graves aux normes d’hygiène, accès insuffisant aux services de base et aux soins médicaux,… Amnesty International dénonce une fois de plus les conditions de vie déplorables des détenus en Belgique. Alors que les membres du personnel carcéral et les syndicats se mobilisent en faveur d’une réforme majeure du système pénitentiaire, les autorités tardent à prendre des mesures pour améliorer leurs conditions de détention.
« Ils sont parfois trois, enfermés toute la journée dans une cellule prévue pour deux, d’à peine 2,50 m sur 3,50 m », relate Philippe Hensmans, ancien directeur de la section belge francophone d’Amnesty International et bénévole au sein d’un comité de surveillance du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP). Loin de l’image populaire de « l’hôtel cinq étoiles », le quotidien au sein des prisons belges est marqué par le manque de personnel, un surpeuplement carcéral, le manque d’hygiène et des actes de violence récurrents.
Quand les prisons débordent
Le territoire belge compte à ce jour 39 établissements pénitentiaires, « soit 10 773 places pour les 12 130 détenus, selon les données du SPF Justice au 15 mai 2024 », explique Guylaine Germain dans un article du Fil, la revue trimestrielle publiée par Amnesty International Belgique Francophone (AIBF).
Au printemps 2023, le taux de surpopulation était encore supérieur pour atteindre les 17%. 250 détenus dormaient alors sur des matelas posés à même le sol. À ce jour, plus de 280 « lits » supplémentaires sont encore installés dans les cellules du pays, rapporte Amnesty.
Parmi les détenus, « 30% sont des prévenus (soit des personnes qui n’ont pas encore été définitivement jugées et donc présumées innocentes, ndlr.), qui peuvent attendre longtemps avant de passer en jugement. Cela illustre le retard que la justice a pu accumuler dans le traitement des dossiers », assène encore Philippe Hensmans.
Une politique d’incarcération stricte
L’ancienne politique pénale, qui permettait aux condamnés à des peines de moins de trois ans de les purger sous bracelet électronique, a été révisée sous l’impulsion de Vincent Van Quickenborne, ancien ministre de la Justice. Désormais, même les courtes peines doivent être exécutées en prison, ce qui accroît considérablement le nombre de détenus. Didier Breulheid, délégué permanent à la CSC, explique dans une interview accordée à RTL :
« Le gouvernement actuel a décidé de mettre en place la loi d’application des courtes peines, donc on a beaucoup plus de détenus dans nos prisons qui n’y étaient pas avant »
Il précise que cette loi devait être accompagnée de la création de 15 maisons de détention, des établissements à petite échelle où les détenus bénéficieraient d’un accompagnement personnalisé et de plus de libertés. À ce jour, seuls 2 centres de ce type sont en activité, un chiffre bien loin des promesses initiales.
« La prison est infestée de punaises de lit »
Favorisée par cette politique pénitentiaire stricte, la surpopulation carcérale conduit à de nombreux problèmes : « À Mons, la prison est infestée de punaises de lit », explique Bastien, avocat, qui s’y rend fréquemment pour rendre visite à ses clients. « À cause de la surpopulation, il y a des matelas au sol dans les cellules. Il y a des rats, des souris. À la prison de Forest, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux hygiéniques », illustre encore Eliott, un confrère, dans les pages de la RTBF.
« Ce sont des situations anormales ! », s’alarme Pierre Sculier, président d’avocats.be. « Il y a aussi le problème des toilettes sans paravent pour protéger l’intimité, ce qui entraîne des problèmes intestinaux ou même de constipation ».
D’autres risques sanitaires sont à déplorer : les épidémies de gales et de tuberculose font souvent leur apparition au sein des prisons. Durant les fortes chaleurs estivales, l’aération est loin d’être suffisante. « De nombreuses prisons du pays développent ainsi des soucis de salubrité: champignons, moisissures, humidité… », relève Amnesty.
Les gardiens de prison à bout
Une situation difficile à supporter pour le personnel pénitentiaire, qui se trouve dans l’impossibilité de prendre en charge chaque détenu dignement, donnant lieu à davantage de conflits entre les prisonniers et envers les gardiens. En 2023, plusieurs grèves se succèdent au sein des prisons du pays pour dénoncer une « situation intenable ». Philippe Hensmans assène :
« En avril 2023 à Nivelles, on m’a déclaré 8 gardiens pour 250 détenus. Impossible d’accéder aux services minimums ».
Selon l’Institut fédéral des droits humains, des traitements inhumains, assimilés à de la torture, en ont découlé.
En octobre de la même année, le Conseil de l’Europe a réitéré ses critiques au sujet des problèmes structurels du système carcéral belge et de l’absence de recours efficaces. « Il a exhorté les autorités à prendre des mesures rapides et durables pour réduire le nombre de personnes détenues et améliorer les conditions de détention », rappelle le rapport d’Amnesty.
Changer de regard sur le rôle de la prison
Entre temps, peu de choses ont changé. Avocats, syndicats et défenseurs des droits des détenus militent pour une autre politique carcérale : incarcérer le moins possible, si ce n’est pas du tout pour certains. « Les solutions sont connues, mais on ne les applique pas », regrette Marc Nève, directeur du CCSP, qui cite notamment les travaux d’intérêt général, la surveillance électronique ou par un assistant de justice, la liberté conditionnelle, les quotas pour la préventive ou des mécanismes de justice restaurative tels qu’exposés dans le film Je verrai toujours vos visages.
« Dans l’imaginaire collectif, on professe que seule la prison est une vraie peine. La Belgique annonce toujours ouvrir de nouveaux établissements mais cette course à toujours plus ne va pas. La prison ne sert à rien, elle aggrave même la situation. Il faut d’autres initiatives pour diminuer la détention, mais il n’y a aucune réflexion au niveau politique », regrette l’avocat.
– L.A.
Photo de couverture de Ron Lach
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