Prostitution de masse : les coulisses peu reluisantes de Dubaï

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Alors que les grands de ce monde ont discuté de l’avenir du climat à Dubaï, le business de la prostitution, qui prospère aux Émirats arabes unis, s’est déroulé tranquillement en coulisses. Plusieurs enquêtes journalistiques et des associations de lutte contre la traite des êtres humains dénoncent des pratiques scandaleuses.

En juin 2023, l’agence Reuters publiait une enquête édifiante intitulée Comment la torture, la tromperie et l’inaction sous-tendent l’industrie florissante du trafic sexuel aux Émirats arabes unis. L’article se penche sur le cas de Christiana Jacob Uadiale alias Christy Gold, accusée de trafic sexuel à Dubaï par les autorités nigérianes. Elle apparaît comme l’une des meneuses d’un réseau criminel qui attirerait des femmes des pays du Sud global à Dubaï et les forcerait à se prostituer dans des bordels, des ruelles, des bars, des hôtels, des night-clubs.

Court records allege Christy Gold and her associates targeted Nigerian women who were desperate for work and new lives, promising them jobs in Dubai. Instead, the women were forced to go to clubs, restaurants and hotels to sell their bodies https://t.co/l4FnlLYk0H @mokhbersahafi pic.twitter.com/fUx6mS2ULT

— Reuters (@Reuters) June 13, 2023

Selon plusieurs victimes, elle les aurait menacées de « les tuer et les jeter dans le désert » si elles n’obéissaient pas. Celles qui ne gagnaient pas assez d’argent auraient été emmenées dans une chambre, où le frère de Christy Gold les aurait affamées, fouettées et torturées. 

La face cachée de la mondialisation

Il ne s’agit malheureusement pas d’un cas isolé. Selon une enquête plus large, menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) :

Dubaï est « un underground florissant de trafiquants sexuels nigérians, réfugiés aux Émirats arabes unis. »

Connu pour sa richesse issue du pétrole, ses gratte-ciel futuristes et ses plages immaculées, ce pays du Golfe l’est aussi pour ce que les groupes de défense des droits de l’homme qualifient de « piètre bilan en matière de protection des travailleurs étrangers et des libertés fondamentales ».

Les Émirats sont une destination majeure pour le trafic sexuel, où des femmes des pays du Sud global sont forcées de se prostituer par des réseaux illicites. Les trafiquants les maintiennent dans l’esclavage sexuel en jouant sur leur désespoir financier, la manipulation et la coercition, les soumettant à des menaces, à des violences, et les prenant au piège de dettes écrasantes.

Pourtant, la police locale nie que Christy Gold ait été liée à un trafic sexuel à Dubaï. Le ministère des Affaires étrangères déclare, de son côté, que toute insinuation selon laquelle les Émirats « tolèrent la traite des êtres humains ou qu’ils ont peu de considération pour les victimes de ce crime odieux est totalement fausse. »

Mais pour les autorités nigérianes et les militants des droits de l’homme, les Émirats ne respectent pas leurs engagements dans ce domaine. La direction générale de l’Agence nationale nigériane pour l’interdiction de la traite des personnes précise qu’elle n’a obtenu « aucune coopération » lorsqu’elle a demandé aux autorités émiraties de l’aider dans la traque des trafiquants.

Un militant britannique explique aussi que les autorités du pays et la police n’auraient pas été coopératives lorsqu’il les a exhortées à aider les femmes des pays du Sud global à sortir du réseau de prostitution. Depuis plusieurs années, le rapport du département d’État américain sur les trafics d’êtres humains considère que « le gouvernement des Émirats arabes unis ne respecte pas pleinement les standards minimaux pour éliminer les trafics ». Malgré des « efforts significatifs » en 2022, le pays ne serait toujours pas à la hauteur dans des domaines clés de la lutte contre la traite des êtres humains.

Le côté obscur de Dubaï

Bien que les Émirats criminalisent cette activité, le commerce clandestin du sexe reste bien visible à Dubaï et implique une multitude d’individus. Les bordels, salons de massage et services d’escorte ont proliféré, attirant un nombre considérable de femmes de pays comme la Russie, l’Ukraine ou la Thaïlande, selon The Guardian. Des cartes de visite avec des photos et des numéros WhatsApp pour des salons de massage très spéciaux inondent de nombreux quartiers. Des escortes racolent dans les hôtels, les spas, les bars, les restaurants, les night-clubs… Avec ses dizaines de milliers de prostituées, Dubaï est devenu la principale destination de tourisme sexuel du Golfe.

Selon un rapport du Carnegie Endowment, l’augmentation de la prostitution à Dubaï pourrait être attribuée à plusieurs facteurs : les disparités économiques, le laxisme de l’application de la loi à certains endroits, l’attractivité de l’Émirat pour une population diversifiée… Une grande partie des résidents des Émirats sont des travailleurs étrangers, employés dans la construction, l’hôtellerie ou l’industrie, pour la plupart des hommes arrivés seuls. Selon des diplomates, le commerce du sexe serait utilisé comme un moyen de « pacifier » ces travailleurs masculins.

Cette industrie sexuelle obéirait d’ailleurs dans le pays à une hiérarchie raciste basée sur la couleur de la peau. Les femmes à la peau claire d’Europe sont généralement exploitées dans des lieux haut de gamme, destinés à des clients riches… Tandis que les femmes à la peau plus foncée seraient souvent dirigées vers les ruelles et les coins de rue, offrant des relations sexuelles bon marché à des travailleurs migrants à faible revenu d’Asie du Sud et d’Afrique.

En 2022, le scandale « Dubaï Porta Potty » a révélé des pratiques particulièrement sordides. Une jeune femme est soudainement apparue sur les réseaux sociaux pour confesser son expérience à Dubaï en tant que « femme toilette » : en plus de ses émoluments en tant qu’escorte, elle affirme avoir perçu des bonus de 15 000 à 20 000 euros pour servir de « toilette ambulante », laissant des hommes uriner ou déféquer sur elle ou dans sa bouche.

Suite à cette révélation, de nombreuses informations et des vidéos chocs sont sorties sur les réseaux sociaux, visant notamment des influenceuses et des vedettes de la télé-réalité, dont le luxueux train de vie à Dubaï serait lié à leur activité d’escorte, certaines acceptant même de satisfaire les fantasmes les plus glauques, allant de la coprophilie à la zoophilie…

Les trafiquants sexuels profitent de la guerre en Ukraine

Des sources bien informées ont également révélé que des entreprises touristiques émiraties et israéliennes auraient coopéré pour exploiter la guerre en Ukraine afin d’attirer des dizaines de femmes ukrainiennes vers la prostitution à Dubaï et à Tel-Aviv. Le journal israélien Yedioth Ahronoth a confirmé que l’exode ukrainien aurait conduit à l’augmentation de la traite des femmes et de leur recrutement sur le marché de la prostitution en Israël et aux Émirats arabes unis.

Selon des experts de la défense et de la sécurité américains, des femmes et des enfants ukrainiens sont effectivement victimes de la traite des êtres humains aux Émirats arabes unis en tant qu’esclaves sexuelles ou domestiques. Des ONG ont aussi averti que les trafiquants sexuels ciblaient les femmes et les enfants ukrainiens dans les camps de réfugiés polonais et une enquête du Mail on Sunday a montré que le problème était si grave qu’un groupe de vétérans de l’armée britannique travaillait à la frontière polonaise pour protéger ceux qui risquaient d’être contraints.

Un rapport de l’Institut de Washington pour la défense et la sécurité et du Centre pour les affaires de politique étrangère de New York souligne également que la guerre en Ukraine accélérerait la traite vers les Émirats.

« Compte tenu du mouvement à grande échelle de femmes et d’enfants vulnérables d’Ukraine vers la Russie depuis le début de la guerre, parfois sous la contrainte, il semble très probable que certains finiront par être victimes de la traite vers les Émirats arabes unis et d’autres pays », estime F. Schmitz, l’un des auteurs du rapport. « La communauté internationale ne peut pas et ne doit pas fermer les yeux, elle doit demander des comptes aux responsables. »

– Justine S.


Photo de couverture de Fredrik Öhlander sur Unsplash

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