Depuis quelques années se développe l’assistance à maîtrise d’usage, un accompagnement qui vise à mieux prendre en compte, dès la conception des bâtiments, la façon dont ils seront occupés. A l’heure actuelle, les occupants (habitants, usagers…) des bâtiments ont peu leur mot à dire dans la construction ou la rénovation.
Ces dernières années a surgi la prise de conscience que la construction ou la rénovation des bâtiments (logements, bureaux, établissements scolaires, ou de centres de santé…) est principalement laissée à la vision des constructeurs.
Comme il est rare que l’on associe les premiers intéressés, à savoir ceux qui vont occuper les lieux en question, le problème est d’aboutir à des espaces inadaptés aux besoins réels, et où les occupants contournent ou détournent les usages qui étaient prévus à l’origine.
En tant qu’usager, nous avons tous pu faire l’expérience d’un espace ou d’un bâtiment qui ne correspond pas à nos besoins du quotidien : une température inadéquate, un agencement des lieux peu satisfaisant, une difficulté à agir sur notre environnement intérieur…
Dans le domaine de la transition énergétique, on constate que si le mode de vie des usagers n’est pas pris en compte dès le début du projet des travaux, les prévisions initiales d’économies d’énergie ne pourront être atteintes, car la seule transformation technique d’un bâtiment ne permet pas de tenir la promesse de performance énergétique.
En réponse à cette approche purement technique de la construction, de plus en plus d’initiatives émergent pour mieux considérer les attentes et comportements des habitants dans la conception et l’exploitation des bâtiments, comme l’assistance à maîtrise d’usage (AMU).
Assistance à maîtrise d’usage : de quoi parle-t-on ?
L’Assistance à maîtrise d’usage (AMU) consiste à se centrer sur les usages existants ou futurs d’un projet urbain ou bâti. L’AMU est portée la plupart du temps par un tiers qui va faire le lien entre les professionnels du bâtiment (maître d’ouvrage, maître d’œuvre…) et les usagers ou habitants.
Il endosse ainsi la fonction de relais ou de facilitateur entre des publics qui ne parlent pas nécessairement le même langage, le vocabulaire technique des professionnels du bâtiment pouvant sembler jargonnant aux habitants.
Concrètement, la démarche d’AMU, après avoir effectué un premier diagnostic des pratiques sociales en cours sur l’espace à étudier, organise généralement des temps collectifs, plutôt sous la forme d’ateliers. Les méthodes et les sujets évoqués peuvent être variés, mais le point commun est de lier un espace bâti (les abords d’un immeuble par exemple), aux enjeux sociaux associés (comme la sociabilité ou le sentiment de sécurité par exemple).
L’AMU peut être mobilisée aussi bien dans le cadre de la co-conception d’un espace ou d’un service, que dans celui d’un accompagnement au changement.
Diversité de dispositifs
Qui porte les démarches d’AMU aujourd’hui ? Une nébuleuse de professionnels – à l’instar de ce qui est observé dans le champ de la participation citoyenne – associant aussi bien des designers, des facilitateurs, des coachs ou des praticiens de l’architecture et de l’urbanisme.
Nouveau métier ou nouvelle pratique ? S’il est encore trop tôt pour le dire, il n’existe pas à ce jour de formation initiale spécifique. Aussi les compétences mises en avant par les professionnels relèvent avant tout d’une succession d’expériences personnelles qui, bout à bout, articulent approches techniques et méthodes issues des sciences sociales.
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Cette diversité de professionnels nous permet de dire que derrière l’acronyme « AMU » se cache en réalité une multitude de dispositifs d’accompagnement.
Partir des usages
Le terme d’AMU tire ses origines des premières expériences de participation urbaine des années 70 (Roubaix Quartier Alma Gare, Vanoise…). Il s’inscrit ensuite dans l’émergence du concept de « maîtrise d’usage » développé dans les années 80 lors du développement social des quartiers de la Politique de la Ville. La « maîtrise d’usage » consiste alors à reconnaître une compétence propre aux usagers.
C’est au début des années 2000 que le terme AMU apparaît pour la première fois à l’occasion du projet urbain de Paris Rive Gauche. Le terme est repris une dizaine d’années plus tard, en référence aux métiers de l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO), par un ensemble de praticiens et chercheurs abordant les enjeux de l’urbain et du bâti avec un prisme sociotechnique.
Progressivement, collectivités, bailleurs et même promoteurs commencent à s’en emparer. Preuves de l’intérêt suscité, un Livre blanc est rédigé en 2020 par le réseau national qui fédère les professionnels de l’assistance à maîtrise d’usage et un guide est publié à ce sujet en octobre 2023 par la Direction interministérielle de la transformation publique.
Une des spécificités de l’AMU par rapport à la concertation est d’aborder le projet par l’usage, c’est-à-dire à travers ce que le professionnel observe ou ce que les usagers expriment. Toutefois, parce que nous ne sommes pas toujours conscients de la raison pour laquelle nous faisons tel ou tel geste ou parce qu’un vécu individuel ne peut être généralisé, une dimension délibérative est bien souvent introduite en associant les usagers.
Au fond, l’AMU interpelle avant tout sur la destination attribuée aux espaces ou ouvrages réalisés et plus largement sur le sens que l’on souhaite leur donner. « Pourquoi construire, rénover, transformer, aménager ? » et « Pour qui ? » : deux questions fondamentales auxquelles une démarche AMU doit pouvoir répondre.
Des lieux de vie plus adaptés aux besoins
L’assistance à maîtrise d’usage est une porte d’entrée vers de nombreux objectifs, qu’ils soient écologiques ou sociaux.
Dans le cas de logements, les échanges avec les habitants peuvent ainsi porter sur l’utilisation ou les envies autour des parties communes (créer des espaces collectifs, des équipements partagés), la vie sociale de la résidence, les relations de voisinage, l’utilisation des équipements de chauffage ou de ventilation à l’intérieur du logement… Et ce dialogue peut s’élargir à des enjeux de quartier, comme la mobilité, l’animation sociale ou la consommation.
L’idée de cette attention à l’usage est de créer ou rénover des bâtiments, des logements… de qualité, adaptés aux modes de vie actuels ou futurs. En travaillant ces enjeux, et en associant les usagers dès les premières phases de conception d’un projet, c’est faciliter une plus grande appropriation et potentiellement implication des parties prenantes.
C’est ainsi permettre d’adapter un bâtiment à ses usagers, et non l’inverse.
Repenser la relation
L’intérêt de l’assistance à maîtrise d’usage, qu’elle fasse appel ou non à un tiers facilitateur, est d’interroger la culture de la construction (des collectivités, des bailleurs sociaux, des promoteurs…) en repensant la relation entre professionnels et usagers, en articulant un lien entre la technique et l’humain, et en reconnaissant aux habitants et usagers leurs compétences sur leur lieu de vie, de travail ou de loisirs en tant que premiers utilisateurs.
Si l’objectif peut être que chacun évolue dans sa posture (l’AMU pouvant aussi être l’occasion de gérer des conflits), les enjeux finaux sont d’une part, de vivre au mieux dans un cadre bâti et son environnement, et d’autre part, que les parties prenantes de ce bien-vivre puissent coopérer dans ce sens. Par une meilleure appropriation de son quartier, de son immeuble et de son logement, l’usager devient en capacité d’agir avec des co-bénéfices importants sur les dynamiques de transition écologique (gestion d’un jardin partagé, mise en place d’un système de compostage, maîtrise des consommations énergétiques…). C’est en créant un meilleur dialogue entre les différents acteurs que l’on pourra faire face aux enjeux écologiques.
Une démarche encore à généraliser
Alors, pourquoi les démarches d’AMU demeurent émergentes et non généralisées dans les opérations d’aménagement et construction ? De la fenêtre des opérateurs et des bailleurs, elles représentent un coût et une complexité supplémentaires au stade de la conception et du développement du projet.
Charge aux chercheurs et aux praticiens de produire des données capables de démontrer la plus-value des démarches d’assistance à maîtrise d’usage (en mesurant les coûts évités en exploitation, les économies d’énergie réalisées, le niveau de confort et de qualité de vie…) afin de les convaincre du retour sur investissement.
Et au secteur public d’appuyer la consolidation d’une filière professionnelle déjà très motivée. L’Ademe finance ainsi deux projets de recherche-action dont les résultats, attendus pour 2025, permettront d’objectiver les bénéfices de l’AMU.
Bénédicte de Lataulade, consultante sur les champs de la sociologie urbaine, et Vincent Chaillou, consultant en innovation sociale chez Histoires de villes, ont contribué à la rédaction de cet article.
Coordinatrice « Dynamiques sociales de la rénovation « à l’Ademe. Elle pilote le projet Actelos financé par l’Ademe.