Réparabilité, durabilité… Comment changer nos imaginaires pour rendre la sobriété désirable ?

7 months ago 62

La polémique suscitée par la campagne sur les « dévendeurs » lancée par l’Agence de la transition écologique (Ademe) pour sensibiliser les consommateurs aux enjeux de la sobriété en novembre 2023 a mis en lumière les tensions que peut susciter la rencontre d’imaginaires véhiculant des représentations distinctes – voire antagonistes – de la consommation.

Les Français se disent pourtant, dans une enquête réalisée en 2023 par l’Ademe également, prêts à adopter d’autres comportements en réduisant leur consommation de biens matériels. À condition toutefois que la société replace la sobriété au cœur de l’action collective, en favorisant notamment la réparabilité et la durabilité.

Encore perçu il y a quelques années de manière négative, le marché de l’occasion est aujourd’hui considéré comme bénéfique pour l’économie et l’environnement : son essor illustre comment l’évolution des représentations sociales peut favoriser le déploiement de nouvelles pratiques de consommation.


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Il en est de même pour la sobriété, dont le développement potentiel implique des changements profonds de nos imaginaires et de nos pratiques.

Changer les imaginaires

La sobriété s’oppose à l’abondance et à son corollaire : la possibilité d’une consommation et d’une production illimitée de biens matériels qui sont incompatibles avec les limites planétaires.

Dès lors, comment promouvoir des formes de consommation plus sobres sans qu’elles soient considérées comme une régression sociale et le synonyme de privation ? Comment tourner le dos aux objectifs de croissance et de renouvellement accéléré des produits tout en générant des richesses autrement ?

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Si ces questions sont si sensibles, c’est qu’elles touchent aux représentations individuelles, sociales et culturelles au fondement de nos sociétés modernes.

Rendre désirable la sobriété en activant le levier des imaginaires sociaux : telle est la piste que nous proposons d’explorer dans cet article.

Changer notre relation aux objets

intérieur d’une friperie Le marché de l’occasion a connu un essor important ces dernières années. Nilay Sozbir/Unsplash, CC BY-NC-SA

Faire évoluer les comportements d’achat implique en effet de changer notre relation aux objets de consommation. Pour acheter moins et mieux, il s’agit de promouvoir un rapport différent au temps, à la possession et à l’accumulation de biens matériels et aux valeurs, y compris symboliques, qui sont attachées aux choses.

Il s’agit par exemple de réapprendre à entretenir les objets et les réparer pour les faire durer plus longtemps. Prendre le temps de nettoyer son grille-pain peut sembler anecdotique, mais lorsque l’on sait que 7 0 % des pannes sont liées à des miettes coincées dans l’appareil, ce n’est pas vain.

Il en va de même pour nos vêtements, dont les principales sources de séparation et de renouvellement sont l’usure et la lassitude. Les repriser ou les personnaliser nous aide à les porter plus longtemps et à accroître leur durabilité émotionnelle par un phénomène d’attachement.

Une transformation systémique

Contrairement à ce que les exemples précédents laissent penser, faire évoluer notre relation aux objets est loin de relever de la seule responsabilité individuelle et de choix personnels des consommateurs.

C’est bel et bien d’un changement systémique dont il est question, changement qui remet en cause les stratégies commerciales utilisées depuis des décennies par les fabricants et distributeurs, qui valorisent les produits neufs et alimentent continuellement notre envie de les remplacer.

Ces stratégies imprègnent nos imaginaires collectifs et contribuent aujourd’hui encore à dévaloriser les pratiques traditionnelles visant à faire durer nos objets.

Les controverses à propos de la campagne de l’Ademe sur les « dévendeurs » s’expliquent en partie par le fait que nos marchés restent dominés par des imaginaires de consommation de masse, souvent renforcés par des pratiques d’obsolescence esthétique et marketing.


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Renforcer les imaginaires de la sobriété

Il est aujourd’hui nécessaire d’influencer la manière dont l’ensemble des acteurs (consommateurs, distributeurs, producteurs) perçoivent le marché, ce qui implique un travail de construction symbolique visant à renforcer la légitimité des pratiques de consommation sobres. Pour cela, il convient d’agir sur les structures anthropologiques de l’imaginaire, telles que les mythes, récits, symboles et croyances des acteurs.

En ce sens, fabricants et distributeurs ont un rôle crucial à jouer. En développant de nouvelles offres commerciales détachées d’une logique de volume et en assurant la promotion de ces offres, ils contribuent à véhiculer l’idée qu’un monde plus sobre est à la fois possible et souhaitable.

Les stratégies centrées sur la conception de produits réparables et durables, couplées à des services de maintenance, de réparation, ou bien d’économie de fonctionnalité (systèmes de produits/services), bien qu’encore peu nombreuses aujourd’hui, sont prometteuses.

Au-delà d’allonger la durée de vie des produits et d’intensifier leur usage, elles sèment des graines dans l’esprit de tous : dans celui des consommateurs, qui entrevoient d’autres perspectives que le remplacement de leurs produits, mais également dans celui des autres acteurs du marché, qui prennent conscience qu’une activité plus sobre en ressources peut s’avérer économiquement viable.


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Accompagner les changements de pratiques

Agir sur les structures de l’imaginaire en valorisant des discours favorables aux pratiques sobres est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour susciter des changements de comportements. Il s’agit également de concevoir des dispositifs sociotechniques accompagnant les changements de pratiques.

main qui donne un smartphone cassé dans une autre main Accroître la confiance dans la réparabilité est un aspect important. PR MEDIA/Unsplash, CC BY-NC-SA

Prenons le cas de la réparation. Le comportement du consommateur est significativement influencé par le prix qu’elle coûte et guidé par une logique symbolique, nourrie par l’image qu’il va chercher à renvoyer vis-à-vis de la société, de ses proches et de lui-même. Mais le délai de réparation, la praticité du service, le confort, la garantie de bon fonctionnement ou encore la qualité sont autant d’autres éléments essentiels à ses yeux.

Ainsi, favoriser la réparation passe par le développement de ce que le sociologue Lucien Karpik appelle des « dispositifs de confiance », qui visent à rassurer les consommateurs sur la qualité des activités de réparation.

Labels, guides, normes…

Ces dispositifs peuvent prendre différentes formes : des labels, guides, ou normes techniques qui ont pour objectif à la fois de combler le manque d’information des consommateurs vis-à-vis des réparateurs et d’éviter les comportements opportunistes de réparateurs peu compétents et/ou scrupuleux.

Nous pourrions envisager, à l’échelle nationale, la création d’un observatoire de la réparation, qui fournirait des informations à propos des acteurs qualifiés, des comparaisons sur la réparabilité des produits et des marques, indiquerait les délais moyens ou les fourchettes de prix pratiqués. Cela améliorerait l’accès à ces activités sur le plan pratique, mais aussi leur image.

Ce travail, pour faciliter l’adhésion des citoyens à de nouvelles habitudes, doit résulter d’une démarche collective incluant pouvoirs publics, producteurs, distributeurs et associations de consommateurs. Ces dernières années, les ruptures en approvisionnement de matières, l’inflation et l’augmentation des délais de livraison ont montré que la sobriété était un enjeu majeur. Une condition sine qua non pour accroître la résilience de nos sociétés et réussir la transition écologique.


Cet article s’appuie sur des travaux de recherche menés avec la chaire Mines urbaines.

The Conversation

Joël Ntsondé a reçu des financements de la Fondation ParisTech dans le cadre d'une étude post-doctorale financée par la Chaire Mines Urbaines. Cette chaire est soutenue par Ecosystem, Arts et Métiers, Chimie ParisTech et Mines Paris.

Franck Aggeri a reçu des financements de la chaire Mines urbaines, dédiée aux recherches et enseignement sur l'économie circulaire, dont il est coresponsable. Le mécène de cette chaire est l'éco-organisme ecosystem. Cette chaire associe trois écoles d'ingénieurs : Mines Paris-PSL, Chimie ParisTech-PSL et Arts et Métiers. Toutes les recherches réalisées au sein de cette chaire de mécénat sont publiques.

Chloé Steux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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