Chaque catastrophe naturelle causée par un épisode météorologique rare (vague de chaleur, sécheresses, inondations, orages…) entraîne régulièrement son lot de commentaires et de questionnements : le changement climatique est-il bien en cause ? Comment savoir ? Alors que le souvenir de la canicule de 2003 est encore cuisant, les risques d’un été caniculaire se font déjà craindre pour les Jeux olympiques de Paris à l’été 2024.
Depuis quelques années, il est possible de distinguer l’influence de la variabilité naturelle de la météo et l’influence des changements climatiques : on parle de science de l’attribution climatique.
Davide Faranda, directeur de recherche CNRS au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) de l’Institut Pierre-Simon Laplace et membre du consortium européen XAIDA, qui développe des méthodes permettant de rattacher à l’évolution du climat les événements météorologiques extrêmes, revient sur cette discipline scientifique en plein essor.
Que veut-on dire par science de l’attribution ?
L’attribution climatique consiste à regarder un événement météorologique extrême donné qui s’est produit dans le passé, et à quantifier le rôle joué par le changement climatique dans sa survenue. Autrement dit, son enjeu est de distinguer la météo de tous les jours, qui sera en phase avec la variabilité statistique du climat, qui connaît des épisodes extrêmes rares rencontrés à une fréquence donnée (par exemple décennale, centennale…) de l’influence du changement climatique.
On cherchera ainsi à calculer dans quelle mesure le changement climatique a rendu cet événement plus probable – plus fréquent – et plus intense. C’est un domaine assez nouveau, qui a pris de l’essor après la canicule de 2003, qui avait causé plus de 35’000 morts en Europe. Il a notamment été popularisé dans le rapport du GIEC sur les causes physiques du réchauffement paru en août 2021. Les éléments scientifiques rattachant les extrêmes météo au climat sont très forts, notamment pour les canicules, les précipitations extrêmes, les sécheresses et les cyclones tropicaux.
Au-delà des orages, des cyclones et des vagues de chaleur, nous souhaitons aussi, dans le cadre de Xaida, nous intéresser aux événements faisant intervenir plusieurs extrêmes simultanément, comme les feux de forêt. Des recherches à ce sujet sont en cours.
Pourquoi est-ce une science aussi jeune ?
Pour pouvoir relier un événement donné à l’évolution du climat, il faut pouvoir simuler un monde « contrefactuel » tel qu’il serait en l’absence de changement climatique. On recourt donc à des modèles numériques qui permettront de calculer la probabilité de tel ou tel événement rare dans le monde actuel d’une part, et dans un monde sans réchauffement à gaz à effet de serre d’autre part.
À noter qu’il n’existe actuellement pas de consensus scientifique sur la meilleure façon de construire ce monde contrefactuel, pas même dans les modélisations du GIEC. Plusieurs méthodes de calcul coexistent pour modéliser les événements, chacune avec ses avantages et ses inconvénients.
La principale difficulté, c’est donc d’avoir assez de données pour construire ce contrefactuel. C’est aujourd’hui la disponibilité des données météo selon un maillage géographique de plus en plus fin (grâce à la multiplication des réseaux d’observation, au sol et par satellite) qui a permis de faire d’énormes progrès. En soi, ClimaMeter, l’outil d’attribution rapide des événements météo extrêmes que nous développons au LSCE, aurait pu tourner sur un ordinateur des années 1950. Mais à l’époque, nous n’aurions pas eu assez de données pour faire fonctionner les modèles.
Quels événements extrêmes ClimaMeter a déjà reliés au climat ?
L’outil a déjà permis de rattacher plus de 40 événements météorologiques extrêmes au changement climatique, parmi lesquels des tempêtes, comme le cyclone Belal qui a touché La Réunion en janvier 2024, des inondations comme celles à Dubaï en avril 2024 ou en France à l’automne 2023, des vagues de chaleur (comme celle d’octobre 2023 en Europe, des vagues de froid (comme celle de janvier 2024 aux États-Unis)…
Pour chaque événement, on calcule ainsi dans quelle mesure il s’agit d’un événement rare (si ce type d’événement est déjà survenu dans le passé), et dans quelle mesure il peut s’inscrire dans la variabilité naturelle du climat, ou s’il a été renforcé par le changement climatique d’origine humaine.
Quelle est la méthodologie utilisée par ClimaMeter ?
À la différence d’autres méthodologies, comme celles de l’initiative World Weather Attribution, qui va s’intéresser directement à la probabilité d’occurrence des variables météorologiques (températures, paramètres des vents, etc.) retrouvées dans l’événement étudié (on parle d’approche probabiliste inconditionnelle), nous adoptons une approche non seulement statistique, mais également conditionnelle. Nous recherchons les causes possibles, en termes de circulation atmosphérique (cyclones, anticyclones…), de ces variables : pression atmosphérique, précipitations, températures, vents…
Pour cela, nous recherchons des analogues de l’événement sous examen dans deux « mondes » issus de deux jeux de données distincts :
1979-2001, qui correspond à un climat réchauffé, mais déjà du « passé »,
2001-2023, qui correspond au climat réchauffé actuel.
Cette approche nous a permis de nous intéresser à des événements qui auraient été autrement impossibles à attribuer, par exemple les tempêtes ou encore des systèmes orageux. L’objectif derrière ClimaMeter, c’est de pouvoir évaluer les effets du changement climatique sur les événements extrêmes dans des zones où il existe peu d’études d’attribution, mais beaucoup de demandes d’évaluation de l’évolution du risque de ces événements pour les populations. Par exemple dans les Caraïbes, ou dans les zones méditerranéennes, où des cyclones méditerranéens (ou medicanes) pourraient faire des dégâts, à l’image du médicane Apollo, qui a frappé la Sicile en 2021 et provoqué des inondations.
L’enjeu est aussi socio-économique : ces modèles peuvent aider à estimer si le risque d’inondation à Venise est plus élevé avec ou sans barrage, par exemple.
Peut-on utiliser la méthodologie de ClimaMeter pour prévoir le risque d’événements extrêmes, comme une vague de chaleur pendant les Jeux olympiques de Paris à l’été 2024 ?
Ce n’est pas l’objectif de ClimaMeter, même si nous avons repris la méthodologie du projet pour évaluer le risque de vague de chaleur pendant les JO de Paris 2024, dans la revue npj Climate and Atmospheric Science. Nous avons montré que ce risque est bien plus élevé qu’en 2003, et que le record de 2003 pouvait être dépassé de plus de 4 °C en Île-de-France avant 2050.
Les épisodes chauds ainsi simulés correspondent à l’ajout d’une « goutte froide » cyclonique à une situation anticyclonique proche de celle de 2003. Cette « goutte froide » est susceptible de transporter de l’air très chaud du Sahara vers la France, et d’apporter une chaleur supplémentaire par rapport à la situation de 2003.
Cette étude n’est pas une prévision pour 2024, mais un avertissement quant à la possibilité de périodes de chaleur prolongées en Île-de-France à un horizon très proche.
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Davide Faranda a reçu des financements de ANR, ERC, CNRS.