Théories du complot : pourquoi certains Américains pensent que la météo est manipulée pour provoquer des ouragans

1 week ago 21

Confrontées à des catastrophes naturelles incontrôlables, comme le récent ouragan Milton qui a frappé les côtes de Floride, certaines personnes peuvent préférer adhérer à des théories du complot pour retrouver un sentiment de contrôle. Un phénomène psychologique qui risque de poser problème, alors que les événements extrêmes comme les tornades ou les ouragans sont appelés à devenir plus intenses et plus fréquents au fur et à mesure du changement climatique…


L’ouragan Milton a frappé la côte ouest de la Floride le 9 octobre 2024, devenant le deuxième ouragan puissant à frapper la Floride en l’espace de deux semaines, après l’ouragan Helene.

Si la plupart des gens se sont tournés vers les météorologues pour obtenir des explications, une minorité bruyante est restée sceptique, affirmant que les ouragans avaient été délibérément provoqués par des mesures d’ingénierie, que le climat de la Floride avait été manipulé, voire même qu’il s’agissait d’un complot visant les électeurs républicains.

Ces idées ne sont pas nouvelles. En tant que psychologues, nous étudions les origines des théories du complot et nous avons constaté qu’elles émergent souvent à la suite de catastrophes naturelles. Il est d’autant plus important d’étudier ces théories que les phénomènes météorologiques extrêmes sont appelés à devenir plus intenses et plus fréquents.

Les théories du complot vont venir expliquer des événements importants en les attribuant aux actions secrètes d’un petit groupe puissant. Pourtant, si l’on prend un peu de recul par rapport à cette définition psychologique, une chose frappante devient apparente :

« Si les théories du complot expliquent les événements par les actions d’un petit groupe, elles ne devraient s’appliquer qu’aux événements sur lesquels l’influence d’un tel groupe est plausible. »

Par exemple, si l’alunissage de la mission Apollo avait été simulé, la NASA aurait dû créer un décor élaboré, des costumes, des acteurs et maintenir le secret. Bien qu’improbable, cette hypothèse est concevable, car les humains peuvent concevoir des décors, confectionner des costumes et jouer la comédie. Cependant, les théories du complot basées sur le climat ne rentrent pas dans ce cadre aussi facilement.

Contrairement aux décors de cinéma ou aux événements mis en scène, les humains ne contrôlent pas le climat de manière directe. S’il est possible de faire pleuvoir localement grâce à l’ensemencement des nuages, un ouragan entier est tout simplement bien trop grand et trop puissant pour être provoqué par une technologie humaine. Les théories du complot climatiques semblent donc moins vraisemblables, car le climat échappe à la manipulation directe dont dépendent les autres théories du complot.

Pourquoi les gens se tournent vers les théories du complot

Les gens ont un besoin fondamental de se sentir en sécurité dans leur environnement. Dès lors où le changement climatique est réel, il représente une menace existentielle, c’est pourquoi certains le rejettent au profit de théories du complot qui préservent ce sentiment de sécurité.

Ce n’est pas tout : les individus veulent avoir une impression de contrôle et une capacité à agir sur leur environnement. Lorsqu’ils sont confrontés à la nature incontrôlable du changement climatique, les gens peuvent adhérer à des théories du complot pour retrouver cette impression de contrôle.

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Les recherches en psychologie s’étaient jusqu’ici surtout intéressées aux croyances complotistes à l’échelle macro (changement climatique global par exemple). Des recherches récentes se sont toutefois focalisées sur l’échelle micro (catastrophes naturelles locales).

La première étude du genre en psychologie s’intéressait à la flambée de tornades observées dans le Midwest américain en 2019. Les chercheurs ont constaté que les personnes les plus touchées par celles-ci étaient plus susceptibles de croire que les tornades étaient contrôlées par le gouvernement. Fait important, cette croyance s’explique par le fait que les personnes touchées par les tornades avaient l’impression de n’avoir aucun contrôle sur leur propre vie.

Débris avec panneau « pray for us all » (priez pour nous tous) Dégâts causés par une tornade à Dayton, Ohio, mai 2019. Les tornades ont tué 42 personnes aux États-Unis cette année-là. CiEll/Shutterstock

Sur la base de ces premiers résultats, une autre étude a demandé aux participants d’imaginer qu’ils vivaient dans un pays fictif, appelé Nebuloria. La moitié des participants ont été informés que des catastrophes naturelles pouvaient se produire dans un futur proche, afin de les inciter à prendre des précautions pour leur sécurité. Les autres ont été informés que de telles catastrophes étaient rares et qu’il n’y avait pas de raison de s’inquiéter.

Les participants ont ensuite été interrogés sur plusieurs croyances complotistes, notamment sur la question de savoir si les traînées de condensation laissées par les avions à Nebuloria étaient la preuve d’une manipulation des conditions météorologiques. Les résultats ont montré que les participants à qui l’on avait annoncé un plus haut risque de catastrophe naturelle étaient plus susceptibles d’adhérer à des croyances complotistes.

Cette augmentation des croyances complotistes s’explique notamment par le fait que ces participants ont ressenti l’imminence d’une catastrophe naturelle comme une menace existentielle. Cela suggère que lorsque les gens se sentent vulnérables en raison des risques environnementaux, ils se tournent vers les théories du complot pour reprendre le contrôle, même si les menaces sont hors de leur contrôle et qu’ils ne peuvent rien y faire.

Un cycle qui s’autoperpétue

Cela semble intuitif : si vous ne croyez pas en quelque chose, vous n’allez pas agir comme si c’était vrai. Par conséquent, si vous ne croyez pas que le changement climatique existe, vous n’agirez pas comme si c’était le cas. Un nombre important (et croissant) de recherches en psychologie le confirment.

En effet, plus les gens adhèrent à des croyances complotistes liées au climat, moins ils sont susceptibles de croire au consensus scientifique sur le changement climatique d’origine humaine. Du coup, ils sont aussi moins susceptibles de se préoccuper de l’environnement, et moins susceptibles de faire confiance aux scientifiques qui produisent les preuves.

Ces croyances n’ont rien d’abstrait. Plus les gens croient aux théories du complot climatique, moins ils sont susceptibles d’agir pour limiter le changement climatique. Des recherches ont montré qu’il suffit d’exposer des gens à des théories du complot sur le changement climatique pour qu’ils soient moins enclins à signer une pétition en faveur de politiques pro-environnementales.

Cette situation a de graves conséquences. D’abord parce que si les gens ne croient pas au changement climatique, ils n’agiront pas, ce qui accélérera sa progression. Mais aussi parce que plus le changement climatique s’accélère, plus les catastrophes naturelles deviennent fréquentes.

Or, comme nous l’avons vu, une augmentation des catastrophes naturelles entraîne une augmentation des croyances complotistes, créant ainsi un cycle délétère autoentretenu.

Les recherches montrent que les catastrophes naturelles peuvent ainsi nourrir la pensée complotiste quant à des événements n’ayant aucun rapport avec celles-ci, ce qui nuit à l’engagement démocratique, à la santé publique et à la cohésion sociale. En bref, les théories du complot fondées sur le climat peuvent avoir des effets négatifs de grande ampleur, bien au-delà des seules questions liées au climat.

Que peut-on faire ?

Il y a des raisons d’espérer que certaines interventions qui favorisent la pensée analytique ou l’esprit critique puissent réduire les croyances complotistes. Par exemple, le fait d’exposer les gens à un raisonnement scientifique qui remet en question les hypothèses qui sous-tendent les théories du complot sur le Covid-19 a réduit de manière significative ces croyances. De même, une meilleure utilisation des ressources et des compétences pour faire face aux catastrophes naturelles peut réduire la prévalence des théories du complot en la matière.

Si nous n’agissons pas contre le changement climatique, l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles conduira probablement à davantage d’adhésion aux théories du complot. Les enjeux sont importants, mais des interventions réfléchies peuvent aider à rompre ce cycle dangereux.

The Conversation

Iwan Dinnick est employé comme chercheur à l'université de Nottingham dans le cadre d'un projet de recherche financé par Leverhulme.

Daniel Jolley a reçu des financements du Leverhulme Trust, de l'Académie britannique et du Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC).

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