Depuis fin 2021, TotalEnergies ferait l’objet d’une enquête préliminaire pour « pratiques commerciales trompeuses » en matière environnementale. L’information, révélée par Mediapart le 26 janvier dernier, a rapidement été confirmée par le parquet de Nanterre. Depuis, le collectif d’associations à l’origine de la plainte s’est exprimé, dénonçant le discours mensonger du géant pétrolier qui se présente comme un leader de la transition écologique aux yeux du public en dépit de ses activités extrêmement délétères pour l’environnement. Retour sur cette affaire.
Si TotalEnergies reconnait qu’il « y a urgence à agir pour le climat » et que « l’énergie est au cœur du défi du changement climatique », le pétrolier peine pourtant à améliorer son emprunte carbone.
Selon Greenpeace, les énergies fossiles (pétrole et gaz) représentaient 91 % de la production de TotalEnergies en 2021 et encore 73 % de ses investissements totaux. Alors, quand le géant français se présente sans vergogne comme « un acteur majeur de la transition énergétique », certaines associations voient rouge.
Un gouffre entre la communication et la réalité
C’est notamment le cas de trois organisations de défense de l’environnement : Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions, qui n’hésitent pas à qualifier ces affirmations de greenwashing : « Il y a un gouffre entre la communication de TotalEnergies et le fait que l’entreprise n’abandonne pas les énergies fossiles et continue même de les développer massivement », explique William Bourdon, avocat des ONG, à Challenges magazine.
TotaL a émis 4 fois plus d’équivalent CO2 que ce qui a été annoncé publiquement
Pour appuyer ces allégations, on peut notamment citer les chiffres édifiants publiés par Greenpeace en novembre dernier : à la place des 455 millions de tonnes d’équivalent CO2 annoncé par TotalEnergies en 2019, l’ONG estime quant à elle que le géant pétrolier aurait plutôt émis près d’1 milliard 637 millions 648 mille tonnes de CO2e, soit un résultat quatre fois supérieur. De quoi largement revoir la position de la multinationale dans la course contre le dérèglement climatique.
Depuis 1971, ils savaient
En novembre 2021, des chercheurs français et américains publient des révélations fracassantes dans la revue Global Environmental Change : Total était informé depuis (au moins) 1971 de la réalité du changement climatique mais aussi des conséquences de la consommation massive d’énergie fossile sur celui-ci.
Grâce à l’examen de publications internes à l’entreprise, les scientifiques mettent en évidence les stratégies du groupe pour taire ou minorer le sujet, tout en manœuvrant pour limiter l’intervention publique en matière environnementale.
CLIMATE CHANGE: What they knew and when? New research paper uncovers historical evidence of the warnings @TotalEnergies got (as early as 50 years ago) about CO2 and climate change. Including this (below) from 1971! #ClimateChange #COP26 Link to paper here: https://t.co/2bGjHUdhvi pic.twitter.com/0DsiltTiHj
— Javier Blas (@JavierBlas) October 20, 2021
Une stratégie judiciaire en place depuis 2020
A la lumière de ces considérations, on comprend aisément le choix des trois associations de ne pas se limiter à une campagne de dénonciation médiatique usuelle. A l’aide de leur avocat, ils parviennent à joindre la notion de greenwashing, qui n’a actuellement aucune valeur juridique, à celle de « pratique commerciale trompeuse », qui vise la communication commerciale qui « omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle » selon le Code français de la consommation.
« Quand nous avons développé cette idée en 2020, cela nous est apparu comme une évidence. Le greenwashing, quand il atteint le niveau de cynisme de celui de TotalEnergies, correspond à l’essence même de la “pratique commerciale trompeuse” », détaille pour Challenges magazine William Bourdon. Pour les associations de défense de l’environnement, il n’en faudra pas plus : octobre 2020, une plainte est déposée au parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Vers le premier procès pour greenwashing français ?
Confiée au pôle économique et financier du parquet, la plainte aboutit en décembre 2021 sur une enquête préliminaire visant à déterminer l’existence ou non d’une infraction pénale. Dans l’affirmative, le premier procès français pour greenwashing pourrait voir le jour.
L’avocat du Barreau de Paris se félicite déjà au micro de FranceInfo: « c’est une première sur le plan judiciaire en France que TotalEnergies soit l’objet d’une enquête judiciaire pour pratiques commerciales trompeuses, c’est-à-dire ici pour le greenwashing de l’industriel ». Quant à l’issu de l’enquête (et plus tard, du procès), il se dit confiant, estimant qu’à ce stade et vu la « documentation extrêmement probante », « il est impensable que TotalEnergies puisse être exonéré ».
En avril 2022, le collectif d’associations a déposé une nouvelle plainte, reprochant à TotalEnergies “d’autres pratiques” à l’origine d'”un écocide”, a expliqué le parquet lors d’une conférence de presse. A ce stade, cette nouvelle plainte n’a pas (encore) provoqué l’ouverture d’une enquête, ni été jointe aux investigations en cours.
D’autres procédures en cours
Comme d’autres, Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions dénoncent ainsi le double discours de l’entreprise pétrolière : « Nous lui reprochons tout simplement le décalage complet entre sa communication, avec ses envies de passer pour une filiale d’avenir en matière d’énergies renouvelables, et la réalité, une production toujours accélérée d’énergies fossiles, de gaz et d’autres agrocarburants”, détaille Marine Calmet, présidente de Wild Légal, pour FranceInfo.
« Aujourd’hui, il y a une sensibilité chez les consommateurs, qui veulent et qui choisissent des produits en fonction de critères écologiques. Total le sait parfaitement et, du coup, sa stratégie est de mettre en avant une politique vertueuse pour continuer à vendre des produits alors même que la réalité est tout autre ».
Ces trois organisations ne sont donc pas les seules à attaquer le géant pétrolier en justice. A leurs côtés, Greenpeace, Les Amis de la Terre et Notre affaire à tous avaient également déposé un recours pour le même motif, cette fois au civil, en mars 2022. Plus tôt, en 2019, les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises (CRED, NAVODA, AFIEGO et NAPE) avaient assigné Total sur base du devoir de vigilance des entreprises, après son action controversée en Ouganda.
En attente d’un verdict sur le fond, il parait évident que la société civile a décidé de sonner la fin de la récréation pour les entreprises amatrices de greenwashing. Il reste à espérer que la justice se range (enfin) de son côté.
– L.A
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