Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Pour l’édition 2024, nous vous proposons une lecture géologique des principales étapes du Tour chaque semaine.
La sixième étape du Tour de France 2024 (4 juillet), de Mâcon à Dijon, passe par la Roche de Solutré.
La Roche de Solutré, labellisée « Grand Site de France », surplombe le vignoble du célèbre Pouilly-Fuissé, vin blanc typique du mâconnais avec le cépage chardonnay.
Popularisé lors des mandats de François Mitterrand, le site, qui a été décrit par Alphonse de Lamartine comme un « navire pétrifié surplombant une mer de vignes », est connu depuis longtemps. Une légende y situe même une chasse aux chevaux précipités dans l’abime !
Ce mythe tenace remonte à la fin du XIXe siècle, lorsqu’Adrien Arcelin, archéologue amateur de la région publie un roman (sous le pseudonyme anagramme Adrien Cranile), intitulé « Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale » qui est le premier roman préhistorique, bien avant La Guerre du feu (J.-H. Rosny aîné, 1909).
C’est de ce récit d’où vient la légende des chevaux précipités du haut de la Roche de Solutré sous la poursuite des chasseurs. Les chasseurs auraient rabattu, en les affolant, les chevaux sur l’éperon rocheux, et les auraient ainsi fait culbuter dans le vide. Cette théorie est toutefois contredite par l’analyse de l’emplacement des gisements d’ossements par rapport au sommet de la Roche.
En effet, l’amoncellement se situe beaucoup trop loin du bord de la falaise, et aucune trace de fracture n’a été relevée sur les ossements. Plus simplement, les chasseurs devaient probablement rabattre les chevaux le long du bas de la falaise, jusqu’à un endroit se prêtant bien à une embuscade, du fait de la présence de gros blocs effondrés, où d’autres chasseurs les attendaient. Néanmoins, la forte attraction générée par cette fiction et ses illustrations continuent de fasciner.
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La Roche de Solutré à travers les temps
Le relief de la Roche de Solutré est dû à une couche de calcaire très dur. Il s’agit en réalité d’un récif corallien fossilisé, qui se développait là il y a 170 millions d’années, pendant le Jurassique moyen. Cette masse compacte domine des calcaires et marnes plus anciens, beaucoup moins résistants qui forment les reliefs sous-jacents et les pentes cultivées.
Son nom se réfère aussi à une culture paléolithique, le Solutréen) (de -20 000 à -16 000 ans avant l’ère commune) caractérisée par ses « feuilles de laurier », silex bifaces taillés, d’une grande finesse.
L’industrie solutréenne se caractérise par la technique de taille remarquable de pointes de silex qu’une analogie de forme a fait désigner sous le nom de feuilles de laurier. Ces pointes étaient travaillées sur leurs deux faces en retouches rasantes par enlèvements parallèles très minces et réguliers.
À son apogée, la période solutréenne vit le façonnage d’outils plus fins que les précédents, dénommés « feuilles de saules, retouchés sur leur seule face supérieure avec les mêmes procédés ».
On l’a vu plus haut, la chasse à l’abime tient de la légende. Mais le lieu dit du « Crot du Charnier », au pied de la Roche, fut bien un lieu de chasse et d’abattage d’animaux sauvages, principalement des chevaux et des rennes.
À cet endroit, les hommes de quatre grandes cultures du Paléolithique supérieur ont chassé, dépecé et boucané des milliers de chevaux. Leurs ossements constituent quatre couches principales, dans la masse de l’éboulis du pied de la Roche. Un de ces amas s’étend sur plus d’un hectare avec par endroits un mètre d’épaisseur. Le fait est unique en Europe. L’archéologie a mis en évidence l’existence d’importants troupeaux en migration saisonnière. Pour éviter les bas-fonds marécageux de la vallée de Solutré, ils longeaient la Roche pour gagner les pâturages de hauteur, selon un itinéraire immuable. Les chasseurs s’installaient sur ce passage à l’affût des équidés.
Les vins de Bourgogne de la Côte
La 7e étape du Tour de France 2024 (5 juillet), entre Saint-Georges et Gevrey-Chambertin, traverse le vignoble de Bourgogne, et notamment les vignobles de la Côte de Nuits, au nord, et de la côte de Beaune, au sud.
Géographiquement, la Côte d’Or regroupe la côte de Beaune et la côte de Nuits. La Côte est constituée de couches jurassiques surplombant la plaine bressane, dont l’altitude est d’environ 150 à 200 m. Les zones les plus basses, celles de la plaine, sont à vocation céréalière ou réservées au pâturage quand elles sont humides. La vigne ne se cultive pas sur le plateau jurassique (500 à 600 m), trop élevé, mais sur des coteaux de moindre altitude. C’est là que l’on retrouve les Hautes-Côtes de Nuits (altitude comprise entre 300 et 400 m) et les Hautes-Côtes de Beaune (environ 400 m d’altitude).
Ces différences ont une incidence climatique. Le début d’éclosion des bourgeons de la vigne des Hautes Côtes et la maturité de son raisin présentent un retard d’une à deux semaines par rapport aux vignobles d’altitude moins élevés de la Côte.
Or, pour obtenir un grand vin, le meilleur terroir est celui qui permet une maturation lente et progressive. C’est qui permet d’atteindre l’équilibre des constituants qui forment le « corps » du vin, tout en conservant les substances à l’origine du « bouquet » (son arôme).
On ne sait pas encore bien quels sont les éléments qui favorisent cette « alchimie », mais les crus les plus prestigieux sont souvent situés sur des pentes fortes, qui favorisent le lessivage des sols au plus près du substrat rocheux. Et de fait, sur la Côte proprement dite se répartissent ainsi des niveaux de qualité différents, par ordre décroissant : AOC Grand Cru, AOC Premier Cru, AOC Villages, AOC régionales de Bourgogne pour les cépages pinot noir (rouge) et chardonnay (blanc).
Par ailleurs, les meilleurs vins sont souvent situés sur substrat calcaire, et les vins plus ordinaires sur substrat marneux ou argileux. Or, les terroirs de substrat calcaire et de substrat marneux suivent les plis formés dans les terrains jurassiques. Les grands crus de la côte de Nuits sont ainsi situés sur le Jurassique moyen, constitué de calcaire à entroques et de marnes à huîtres (Ostrea acuminata) du Bajocien. Dans la côte de Beaune, en revanche, les grands crus sont situés sur le Jurassique supérieur.
Il existe donc une relation entre les crus des vins de Bourgogne et les couches de terrain.
Des momies de grenouilles 35 millions d’années
Venons-en à la 12e étape (Aurillac – Villeneuve-sur-Lot), qui se tient le 11 juillet. Les cyclistes y traverseront notamment la Réserve naturelle géologique du Lot. Labellisée Géoparc Unesco pour son patrimoine géologique remarquable à l’échelle internationale, elle s’étend sur 21 communes.
Une des particularités géologiques du lieu tient aux phosphatières (anciennes mines de phosphate) qui ont officié comme de véritables pièges à fossiles. En effet, la région calcaire, sujette à dissolution, possède des cavités, des gouffres. Ceux-ci ont constitué des pièges pour les organismes d’alors qui y sont tombés et y ont été ensevelis. Les sédiments qui ont comblé les cavités, riches en phosphates, ont été exploités comme engrais vers la fin du XIXe siècle.
Il apparut alors qu’elles renfermaient d’innombrables fossiles : près de 700 espèces différentes d’oiseaux, batraciens, reptiles, mammifères, insectes, mais aussi graines et fleurs… Ces fossiles donnent des informations continues sur les environnements, la faune et la flore, qui remontent à entre 52 et 20 millions d’années. Sans doute une continuité unique au monde.
Parmi ces fossiles certains ont été littéralement momifiés, comme cette grenouille.
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Patrick De Wever ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.