Jean-Marc Gancille est l’auteur d’un essai paru cette année aux éditions Rue de L’Échiquier : Comment l’Humanité se viande. Le véritable impact de l’alimentation carnée. Récemment ulcéré par l’annonce du « plan gouvernemental pour reconquérir notre souveraineté sur l’élevage », qui sous couvert de réappropriation agricole se révèle écocidaire et rétrograde, il nous a transmis un tribune instructive.
Le mouvement de colère des agriculteurs précipite l’urgence de faire émerger un nouveau modèle qui concilie agriculture et environnement. L’enjeu est autant de limiter l’impact majeur de cette activité sur le réchauffement climatique que de l’adapter à des conditions d’exercice rendues de plus en plus difficiles par la chaleur, le stress hydrique, la contrainte sur les ressources, l’émergence de maladies…
Cette quête d’un nouveau cadre, qui préserve l’habitabilité de la planète tout comme les conditions de travail et de revenus des agriculteurs, est d’une importance vitale et aurait mérité d’explorer toutes les pistes, sans tabou.
une gestion clientéliste reprenant l’ensemble des revendications rétrogrades de la filière viande
Mais plutôt que de prendre à bras le corps un défi sociétal majeur, le gouvernement aura préféré éteindre le feu par une gestion clientéliste reprenant l’ensemble des revendications rétrogrades de la filière viande : promotion de l’alimentation carnée, soutien aux élevages industriels, maintien et développement du cheptel, valorisation du métier d’éleveur, diabolisation des alternatives végétales, propagande pro-élevage dans les manuels scolaires, etc.
Ce « plan gouvernemental pour reconquérir notre souveraineté sur l’élevage » est un concentré cauchemardesque de tout ce qui se fait de plus néfaste en matière écologique, sanitaire, nutritionnelle et éthique.
A rebours des connaissances et des principales recommandations scientifiques, en contradiction avec les préconisations écologiques du Haut Conseil pour le Climat et de la Cour des Comptes, à l’encontre de l’aspiration croissante des citoyens à la prise en compte des intérêts des animaux, abondant hypocritement dans les croyances les plus éculées, le gouvernement Attal prend sans équivoque le parti de tourner le dos à l’avenir.
Car à bien y regarder l’élevage est au cœur des problèmes principaux du secteur agricole et à la source de nombreuses difficultés actuelles et à venir.
Remettre en question la légitimité de cette activité millénaire n’est ni incongru et encore moins scandaleux. Nous aurions en effet tout intérêt à ne pas faire l’économie d’une réflexion approfondie sur le rapport coût / bénéfice de l’élevage, au regard des objectifs climatiques et de sécurité alimentaire annoncés comme prioritaires.
L’élevage est une bombe climatique
La facture climatique de l’élevage est considérable. Selon les données publiques officielles, elle représente 59% des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture, deuxième poste d’émissions de la France. 83% sont directement imputables au seul élevage des bovins.
Contrairement à ce que l’intense lobbying de la filière soutient, le stockage du carbone par les prairies ne compense en moyenne que 25% des émissions du bétail et ne suffira pas à solutionner le problème. A tel point que la Cour des Comptes n’a pas hésité, dès mai dernier, à enjoindre le gouvernement d’adopter une stratégie de réduction du cheptel bovin cohérente avec ses engagements climatiques.
George Monbiot, journaliste d’investigation et personnalité phare du militantisme écologiste
britannique, n’hésite plus à considérer l’élevage comme une menace équivalente à celle des hydrocarbures pour l’avenir de l’humanité. Selon lui, deux mutations s’avèrent indispensables pour éviter une dégradation catastrophique du climat : laisser les énergies fossiles dans le sol et arrêter l’élevage d’animaux.
Un fléau pour la biodiversité et la vitalité des écosystèmes
Cette parole iconoclaste, qui n’a pas son équivalent en France, pointe une autre réalité incontestable : les pâturages et les cultures fourragères occupent plus de la moitié de la surface agricole utile en France. Cet accaparement des terres empêche la génération de puits de carbone plus efficaces, épuise les ressources en eau nécessaire aux monocultures fourragères et dégrade les habitats sauvages, principale cause du déclin et de l’extinction des espèces. En 2015, un rapport de l’Institute of Physics de Londres estimait qu’à l’échelle européenne, l’élevage était responsable de 78% de la perte de biodiversité terrestre.
Si l’élevage détruit le climat et la biodiversité, il nuit également massivement à la qualité écologique des écosystèmes. Sur le milliard d’animaux abattus chaque année en France, 80% proviennent d’élevages intensifs qui produisent de grandes quantités de déchets azotés issus des déjections, beaucoup trop importantes pour être absorbés par les sols agricoles. L’azote en excès pollue les sols et les eaux, crée de vastes zones mortes et se diffuse dans l’air, sous forme d’ammoniac, causant de graves maladies pulmonaires.
L’élevage ne nourrit pas son homme et le désespère
Contrairement aux idées reçues, l’élevage consomme plus de protéines qu’il n’en restitue sous forme de produits alimentaires. S’il est juste d’affirmer que 86 % de l’alimentation des animaux de ferme est constituée de matières premières non comestibles pour l’homme, l’efficience nette de l’élevage – toutes espèces confondues – est malgré tout de l’ordre de 1 pour 3.
Autrement dit, pour produire 1 kg de viande, les animaux de ferme doivent ingérer 3 kg de produits végétaux comestibles pour l’humain. Toutes choses égales par ailleurs, réserver les surfaces arables aux cultures végétales plutôt qu’à l’alimentation des animaux serait susceptible de couvrir les besoins nutritionnels de l’humanité.
A l’échelle individuelle des producteurs, la situation n’est pas plus reluisante. Bien qu’il existe de fortes disparités de revenus selon les exploitations, l’élevage n’est généralement pas rentable pour les agriculteurs malgré le fait qu’il soit massivement subventionné. Structurellement déficitaire du point de vue économique, il produit aussi de la désespérance sociale.
Entre pénibilité, précarité, épuisement, endettement et soucis de transmission, la profession d’éleveur bovin, qui détient le triste record de surmortalité par suicides, est emblématique d’un secteur structurellement en difficulté.
Renverser la table
D’un point de vue écologique, l’élevage représente un risque environnemental majeur. Economiquement et socialement, c’est un non-sens. Nutritionnellement parlant, il contribue négativement à la sécurité alimentaire.
Alors que les protéines animales ne sont plus indispensables à une alimentation équilibrée, que l’excès actuel de consommation de viande crée de lourds problèmes de santé publique, que la cruauté intrinsèque à l’exploitation animale de masse pose de sérieuses questions éthiques, la place de l’élevage dans le modèle agricole et alimentaire est à reconsidérer de fond en combles.
De nombreux scénarios de décroissance, voire d’abandon des produits animaux démontrent les bénéfices sanitaires, nutritionnels et environnementaux de telles stratégies. Leur mise en œuvre nécessite honnêteté, constance, courage et pédagogie. A défaut, conforter le statu quo d’une alimentation carnée devenue insoutenable ne pourra conduire qu’au franchissement de limites dangereuses pour les équilibres vitaux et à réarmer la colère.
– Jean-Marc Gancille
Comment l’humanité se viande. Le véritable impact de l’alimentation carnée à retrouver ici, aux éditions Rue de l’échiquier.
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