Face aux vagues de chaleur marine et à l’acidification des océans, les récifs coralliens sont en grand danger, et avec eux, une source essentielle d’alimentation, une protection des littoraux, un réservoir de biodiversité. Pour tâcher d’éviter le pire, les scientifiques font tout pour aider les coraux à s’adapter à ces fléaux.
L’expérience était éloquente. Nous étions 750 spécialistes des récifs coralliens réunis à Naples à l’occasion du congrès européen de 2024. Lors de son intervention, un collègue nous a tous fait lever puis a énuméré les différents demi-degrés de réchauffement possibles d’ici la fin du siècle, allant de 1,5 °C à 5 °C, en demandant aux personnes de se rasseoir lorsque la valeur de réchauffement qu’elle pressentait serait prononcée.
Incontestablement, la majeure partie d’entre nous était convaincue que le réchauffement sera supérieur à 1,5 °C, soit l’élévation maximale négociée lors de l’accord de Paris afin de permettre de conserver le bon état écologique des récifs coralliens mais aussi le maintien de leurs rôles vitaux pour l’humanité. Car ces récifs protègent les littoraux des houles destructrices, fournissent les ressources alimentaires aux populations riveraines, donnent une stabilité culturelle à leurs sociétés et sont un conservatoire de biodiversité, avec plus du quart de la biodiversité marine sur seulement 0,2 % de la surface des océans. Grâce à son outre-mer, La France est le 4e pays qui en possède le plus au monde. Cela en dit long sur sa responsabilité à les préserver.
Si l’on estime que les 1,5 degré vont être dépassés, il est grand temps, en plus d’étudier l’impact des fortes chaleurs sur les coraux, de connaître leurs capacités de résistance, d’adaptation ou de résilience, et les actions humaines déjà entreprises pour les aider à survivre aux chocs climatiques.
Mais avant d’ausculter ces marges de manœuvre possibles pour les coraux face aux nombreux fléaux qu’ils subissent, commençons d’abord par comprendre pourquoi les coraux sont vulnérables à la chaleur.
Les vagues de chaleur et leurs effets sur les coraux tropicaux
Les coraux tropicaux vivent dans des eaux marines dont la température est très proche de leur limite de tolérance. C’est pourquoi les vagues de chaleur constituent aujourd’hui le risque majeur de mortalité corallienne.
Durant ces anomalies thermiques, les coraux blanchissent, c’est-à-dire qu’ils expulsent de leurs tissus transparents les microalgues de couleur brune (zooxanthelles ou Symbiodiniaceae), dévoilant par transparence leur squelette blanc en calcaire. Or ces microalgues vivent dans une association à bénéfice réciproque avec leur hôte corallien. Elles le nourrissent, on parle alors d’autotrophie, et sont en retour à l’abri des prédateurs dans les tissus repliés dans son squelette. En les expulsant, les coraux se mettent donc en grave danger. Même s’il leur est possible de se nourrir en consommant du zooplancton (hétérotrophie), ce mode d’alimentation semble ne pas intervenir efficacement contre le blanchissement. Les coraux pourront récupérer si la vague de chaleur n’est ni trop intense ou ni trop longue, sinon ils mourront de faim.
La sensibilité au blanchissement corallien varie selon les espèces, leurs traits d’histoire de vie et leur niche écologique. Les espèces opportunistes comme les coraux branchus du genre Acropora sont très vulnérables, d’autres sont thermotolérantes, c’est-à-dire aptes à résister à des changements de température, comme les Porites. Elle dépend aussi des régions où vivent les coraux et donc de leur histoire thermique.
Toutes les régions de la ceinture intertropicale ont été impactées par des évènements de blanchissement, depuis la mer des Caraïbes, la mer Rouge, les Seychelles, l’Australie, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, etc. De vastes étendues coralliennes ont été irrémédiablement détruites. Avec une succession entre 2004 et 2024 des six vagues de chaleur inédites depuis quatre siècles, dont cinq accompagnées d’un blanchissement majeur, la Grande Barrière de Corail en Australie est aujourd’hui en danger de disparition.
Cependant, le triangle de corail où la diversité des espèces de coraux est maximale (Philippines, Indonésie), baigne dans des eaux dont l’histoire thermique et les modélisations associées sont plus favorables qu’en dehors, avec une plus grande résistance des coraux.
L’acidification des océans et ses effets sur les coraux tropicaux
En parallèle, les coraux sont sensibles à l’acidification des océans parce que la formation de leur squelette de calcaire (carbonate de calcium CaCO3) est liée à la chimie de l’eau de mer. La baisse du pH entraîne une réduction de la concentration en ions carbonatés dont les coraux se servent pour construire leurs squelettes (voir encadré). Par exemple sur la Grande Barrière de Corail, la croissance des coraux du genre Porites, au squelette massif et poreux, a été affectée par l’acidification de l’eau de mer depuis 1950 avec une perte de la densité des squelettes d’environ 13 %. Cette fragilisation les rend plus vulnérables à la bioérosion, à la dissolution et aux chocs des tempêtes, suggérant que les récifs du futur seront moins résistants et plus vulnérables dans le XXIᵉ siècle.
Les solutions naturelles (et plus) pour remédier à ces perturbations majeures
Face à tous ces maux, les coraux sont-ils donc tous fatalement voués à disparaître dans les prochaines décennies ? Heureusement que non ! Ils font preuve de capacités d’adaptation.
Ainsi, le blanchissement est un processus d’adaptation rapide des coraux, qui peuvent remanier les espèces de microalgues qui vivent dans leurs tissus. Ils expulsent celles ne pouvant plus leur permettre de grandir avec le réchauffement des températures (les Cladiocopium par exemple) au bénéfice de celles leur permettant de supporter les nouvelles températures. C’est ici qu’entre en jeu le robuste Durusdinium, qui a donné aux scientifiques une lueur d’espoir. Durusdinium glynnii permet en effet aux coraux du genre Pocillopora de devenir thermotolérants sur les récifs du Pacifique.
Cependant avec Durusdinium trenchii, cela se fait au prix de la croissance de l’hôte car ces microalgues résistantes ne lui transfèrent que très peu de nutriments pour se nourrir, impactant négativement la résilience des récifs et leur récupération sur le long terme. Mais des souches cultivées de Cladiocopium proliferum évoluées vis-à-vis de la chaleur permettent de pallier ce faux compromis avec la croissance de l’hôte.
Les coraux hébergent aussi dans leurs cellules des bactéries, des virus, des champignons qui constituent avec les microalgues zooxanthelles et d’autres bactéries (les cyanobactéries endolithes) leur microbiome. Certaines bactéries et les « bons » virus contribuent aussi à améliorer les capacités de résilience de leur hôte par de nombreux mécanismes rendus possibles grâce à de courts temps générationnels, des populations de grande taille et un taux de renouvellement élevé. À la manière de probiotiques, la manipulation du microbiome permet donc d’augmenter la tolérance des coraux aux stress.
En parallèle, les coraux tropicaux disposent de processus d’adaptation rapide, indépendants de l’évolution darwinienne, laquelle modifie leur génome par sélection naturelle au travers de multiples générations et peut se dérouler sur des millions d’années. Des modifications chimiques de l’ADN, notamment par ajout de groupes méthyle, interviennent pour réguler l’expression des gènes sans modifier la séquence d’ADN. Cette plasticité se transmet entre les générations. Il se pourrait même que ces modifications soient finalement enregistrées dans le génome.
L’acidification de l’eau de mer induit aussi ces modifications chimiques de l’ADN chez les espèces de coraux sensibles aux changements de l’environnement et cela s’accompagne d’une diminution de la calcification de leur squelette. Les effets sur les coraux sont très variables puisque les espèces les plus robustes ne montrent aucune réaction à la baisse de pH.
Des « supercoraux » prospèrent également dans des eaux à faible pH (7,2 au lieu de 7,9 sur les récifs avoisinants), des températures élevées et une oxygénation faible à marée basse, comme dans le lagon semi-fermé de Bouraké en Nouvelle-Calédonie. De fortes variations journalières liées à la marée et des concentrations en nutriments particulières expliquent cette adaptation à des conditions environnementales extrêmes.
Les interventions humaines pour remédier à ces perturbations majeures
On le voit, certains coraux sont capables d’adaptations remarquables face au réchauffement et à l’acidification des eaux. En plus, les scientifiques viennent à leur rescousse.
Plusieurs initiatives ont été lancées afin d’aider les coraux à survivre dans des eaux échauffées. C’est ce qu’on appelle de l’évolution assistée, c’est-à-dire l’élevage ex situ d’espèces sélectionnées sur la base de leur capacité à s’adapter aux anomalies de température, afin de sélectionner leurs gamètes. L’objectif du flux de gènes assisté est d’assurer la translocation de gènes adaptatifs entre populations pour restaurer les populations coralliennes dans des habitats détruits. La cryopréservation de sperme mobile de coraux mâles est également une initiative prometteuse qui vise à compenser des évènements de ponte en procédant à la fertilisation des femelles.
Un vibrant appel pour un programme couvrant toute la mer des Caraïbes a également été lancé à l’European Coral Reef Symposium de 2024 pour partager les ressources génétiques au travers des frontières nationales et au-delà de l’aire de répartition des espèces. Il s’agit de prélever des coraux pour les maintenir en élevage dans des fermes aquacoles ex situ. L’objectif est de conserver des espèces plus thermotolérantes pour repeupler en temps utiles les zones décimées. Une réflexion similaire est également en cours concernant la région du sud-ouest de l’océan Indien.
Mais toutes ces possibilités, naturelles ou favorisées par l’homme, ne fonctionneront que si l’élévation de la température reste contrainte et ne dépasse pas une trajectoire de réchauffement maximale de 2,5 °C d’ici 2100. Or, les efforts consentis entre 2005 et 2020 ont été largement insuffisants puisque les émissions de carbone durant cette période conduiraient à une augmentation de température de 4 à 5 °C en 2100. Cette projection doit être pondérée par des éléments incertains positifs (déclin de l’utilisation des énergies fossiles et des émissions de carbone, part croissante des énergies renouvelables) mais aussi négatifs (changements dans l’atmosphère qui semblent accélérer le réchauffement climatique).
Force est de constater que l’impérieuse nécessité de prendre action immédiatement pour contrôler les émissions de CO2 est en décalage total avec la considération de ces problèmes vitaux dans le débat politique et sociétal français, ainsi qu’à l’étranger.
Mireille M.M. Guillaume a reçu des financements de l'ANR (programme STORISK ANR-15CE03-0003). Elle est membre du Comité national de l'IFRECOR depuis 2023.