Vendredi 3 mai 2024, Tristan, militant pour le climat, est jugé à Besançon pour avoir réalisé des opérations antipub dans l’agglomération bisontine. Il est relaxé par le tribunal qui estime que le condamner serait un frein à sa liberté d’expression. Récit d’une journée au tribunal
C’est tôt au matin du vendredi 3 mai 2024 que des militantes et militants de plusieurs collectifs (Alternatiba, ANV Cop 21, Extinction Rebellion) se retrouvent.
Croissants et café sont de mise pour organiser une action de soutien à leur camarade Tristan, jugé le jour même au tribunal de Besançon pour avoir retiré des pubs des abribus et sucettes de la ville.
“Il y a une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il y a l’action.”
Une trentaine de personnes se sont rassemblées pour une conférence de presse à 9h30 devant la statue de Victor Hugo à quelques pas du Tribunal Judiciaire. Des pancartes ont été préparées pour l’occasion et entourent la table installée pour la conférence de presse. Entre autres cette citation des Misérables de Victor Hugo : “Il y a une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il y a l’action.”
Plusieurs prises de paroles se succèdent jusqu’à 10h avec notamment Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer pour l’association RAP : Résistance à l’Agression Publicitaire qui sera cité comme témoin par la défense.
À la suite de la conférence de presse, un tapis de publicités est déroulé jusqu’au tribunal et il est demandé à l’assemblée de faire silence pour assister à une performance artistique des Red Rebels qui guideront ensuite le prévenu. Quatre personnes vêtues de rouge arrivent ainsi devant la conférence de presse et la procession solennelle, lente et silencieuse entoure Tristan jusqu’à l’entrée du tribunal.
À l’intérieur du tribunal
C’est à 15h20 que le procès commence pour Tristan et son avocat Maître Bastien Poix du barreau de Dijon. La partie civile, l’entreprise JC Décaux, n’est pas représentée. Le témoin Thomas Bourgenot est accepté et conduit dans une autre pièce pour ne pas assister au début des échanges.
Tristan est accusé d’avoir retiré environ 200 affiches des abribus et sucettes de Besançon sur une période allant du 21/08/2023 au 19/09/2023 ainsi que d’y avoir apposé une inscription à l’encre indélébile. Il est également poursuivi pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique. La partie civile a transmis un devis pour les dégradations s’élevant à 3424,29€.
Le juge interroge le prévenu sur ces faits. Le militant reconnaît avoir réalisé une action d’antipub dans la nuit du 3 au 4 septembre 2023. Il reconnaît avoir ouvert les abribus et sucettes grâce à une clé adaptée, retiré les publicités, inscrit un message grâce à un stylo indélébile et refermé les abribus et sucettes. Il ne reconnaît pas les autres actions antipub qu’on lui impute ni la dégradation du matériel.
Il explique au tribunal comment se déroule une action antipub, quelle clé est utilisée :“On la trouve en magasin de bricolage, il s’agit d’une clé allen de diamètre 10 percée, tout le monde peut s’en procurer, c’est la même que celle utilisée par les équipes de JC Decaux donc on ne dégrade pas la serrure”, puis comment l’encre des marqueurs est nettoyée simplement à l’acétone sans dégrader le support.
Le témoin est ensuite rappelé dans la salle pour être entendu. M. Bourgenot indique que l’association RAP pour laquelle il est chargé de plaidoyer existe depuis 1992 et que depuis cette époque il n’y a pas eu beaucoup d’évolution positive au niveau des publicités. Il appuie sur le fait que beaucoup essaient de légiférer, mènent des pétitions et des marches mais que cela ne fonctionne pas.
“Par exemple, la Convention Citoyenne pour le Climat a désigné la publicité comme un levier majeur pour la préservation de l’environnement. Onze de leurs propositions concernaient la publicité”, il indique que ces propositions comme beaucoup d’autres ont été édulcorées voire simplement ignorées lors de l’étape de mise en place par le gouvernement.
Il cite également le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui demande une diminution de la publicité ou encore RTE (gestionnaire du réseau de transport d’électricité) et le CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui demandent à légiférer sur le sujet, en particulier sur la consommation énergétique des panneaux publicitaires. Pour conclure son témoignage, M. Bourgenot ajoute “On comprend que des citoyens qui ne se sentent pas entendus en viennent à faire de la désobéissance civile ».
Suite au témoignage, le prévenu revient à la barre et Madame la procureure offre un moment assez lunaire à l’auditoire en appuyant sur “l’insécurité dans l’espace publique par manque de lumière” car le prévenu débranche les éclairages des abribus en enlevant les publicités. Ce à quoi le prévenu répond qu’il y a l’éclairage public. Le juge d’enchaîner en interrogeant le prévenu avec un soupçon d’ironie “Vous n’êtes pas contre l’éclairage publique?” sous les rires étouffés de la salle.
Madame la procureure demande à ce que le prévenu soit condamné à 5000 euros avec sursis pour dégradation de bien appartenant à autrui pour les faits s’étalant du 21/08/2023 au 19/09/2023 car “l’écriture est la même”. Elle demande en sus un stage de citoyenneté aux frais du prévenu à réaliser dans les six mois ou deux mois d’emprisonnement si ce stage n’était pas réalisé pour le refus de se soumettre à un prélèvement biologique. Vue la situation du prévenu, elle ne s’oppose pas à la non inscription au B2 (casier qui est consulté par l’employeur lorsqu’une personne postule dans certains environnements comme l’éducation par exemple).
Dans son intervention finale, Maître Poix, avocat de la défense, revient sur les raisons qui ont poussé le prévenu à faire cette action. Il indique que chaque personne en France subit “1000 à 1500 stimulis publicitaires par jour”. Il demande à ce que son client ne soit pas tenu responsable pour des faits qu’il n’a pas reconnus sur une période d’un mois mais uniquement sur les faits de la nuit du 3 au 4 septembre 2023. Indiquant à la procureure que “l’OPJ à [son] sens n’est pas graphologue”. Maître Poix propose au juge deux voies possibles de relaxe, une première pour “état de nécessité” et une seconde pour “liberté d’expression”.
Le prévenu a droit à un dernier mot avant la délibération et en profite pour compléter l’intérêt de retirer les publicités non seulement pour l’environnement et limiter la surconsommation mais aussi pour des raisons de santé publique.
Après une délibération de quinze minutes, le juge revient et prend la parole pour le verdict. Il rappelle que c’est une salle de tribunal et que tout le monde est invité à rester calme peu importe la teneur du verdict. Il indique qu’étant donné :
- qu’aucune preuve de détérioration du support n’est apportée suite au nettoyage de l’encre,
- que les faits de la nuit du 3 au 4 septembre sont peu nombreux (20 panneaux),
- qu’on n’a pas de preuve apportée que le prévenu est coupable des autres faits d’antipub d’août et septembre 2023,
- qu’il n’y a pas de dégradation de la serrure car une clé adaptée est utilisée,
condamner le prévenu serait une atteinte à sa liberté d’expression. Une relaxe est donc prononcée en première instance.
Une petite victoire pour un grand combat
“même si mon action a permis à seulement une personne de ne pas acheter un burger ou un SUV alors elle valait le coup”.
À la sortie du tribunal, les sourires se lisent sur les visages des militantes et militants présents en nombre dans la salle d’audience. Tristan est heureux du verdict et ajoute “même si mon action a permis à seulement une personne de ne pas acheter un burger ou un SUV alors elle valait le coup”.
Maître Poix quant à lui se dit également satisfait que le juge ait saisi l’opportunité de relaxer son client au motif de la liberté d’expression. La procureure a maintenant dix jours pour faire appel de la décision.
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